Art Martial – Art de Paix

 

En préambule, il me faut vous dire que je ne suis absolument pas un spécialiste des Arts Martiaux. Je n’écris pas cet article avec un vécu de combattant ou de pratiquant expérimenté : à mon actif je n’ai qu’une petite année de Karaté Shotokan à l’adolescence – complétée il est vrai par le visionnage de l’intégrale des Bruce Lee et une passion éphémère pour le nunchaku 🙂

En revanche j’ai entretenu au fil du temps une sensibilité aux Arts Martiaux à travers la pratique de ma femme, ceinture noire d’Aïkido, et les entraînements et compétitions de mes deux fils (en Judo, Ju Jitsu, Vo Vinam et Kudo).

Depuis que j’enseigne le Yoga, j’ai eu la chance de pouvoir intervenir lors de stages auprès de clubs de Kudo et de Muay Thaï à Rennes, et d’ainsi identifier très concrètement les liens étroits entre les Arts Martiaux et le Yoga – c’est tout l’objet de cet article.

Notez que ne fais pas de distinction entre “Sports de Combat” et “Arts Martiaux”, je considère qu’en pratique les différences – lorsqu’elles existent – sont propres aux disciplines mais surtout aux entraîneurs/maîtres qui les enseignent/transmettent. Pour illustrer mon propos : à mon sens, un club de Judo très orienté sur la compétition sera par exemple moins dans le chemin « Art Martial” qu’une salle de boxe “à l’ancienne” transmettant les valeurs de respect et de dépassement de Soi du noble Art à des jeunes en proie à des difficultés sociales.

 

 

Faire face à une menace extérieure par la fuite ou le combat est une caractéristique commune à tous les êtres vivants. La protection du territoire et de ses ressources, la lutte pour le/la partenaire ou les affrontements contre les prédateurs sont autant de comportements immémorialement inscrits dans nos gènes, transmis et raffinés à chaque étape de l’évolution.

Les Arts Martiaux représentent l’ensemble des techniques développées par l’espèce humaine afin d’optimiser voire transcender ces comportements.

 

 

Il se dit que la forme aboutie des Arts Martiaux prend corps en Asie il y a quinze/vingt siècles, depuis l’Inde jusqu’en Chine et au Japon.

 

A ce moment de notre histoire, des moines bouddhistes chinois (le légendaire temple de Shaolin) s’approprient des techniques de préparation guerrière pour améliorer leur vitalité sous l’influence de Bodhidharma, un moine itinérant indien féru de Kalaripayat et de Yoga. Ainsi, ils peuvent à la fois se protéger des brigands et amener leur corps à mieux supporter l’immobilité lors des séances de méditation assise.

 

 

 

C’est le point de départ du cercle vertueux entre pratiques martiales et spirituelles qui a ensuite notamment migré vers le Japon féodal.

La voie du Guerrier nécessite une implication totale de l’Être, à tous les niveaux : corporel, mental et spirituel. La composante spirituelle est certainement la plus importante car elle cimente les capacités physiques et mentales : le Chevalier des croisades, comme le Viking ou le Samouraï, intègrent la signification de leur propre vie dans un schéma qui les dépasse. En se libérant de la peur de la mort, ils mettent totalement leur être au service du combat, étant alors des plus efficaces.

De manière assez paradoxale, la finalité de l’Art Martial apparaît au fil du temps comme la capacité à éviter la guerre. Le pratiquant développe sa faculté à combattre l’ennemi – ou l’adversaire – et par conséquent à retarder le combat, voire à contraindre à la négociation. En parallèle, avancer dans sa pratique lui permet d’identifier et de canaliser ses propres pulsions, diminuant encore les probabilités de confrontation.

 

L’Art Martial devient alors un vecteur de paix.

 

 

 

 

 

 

 

 

L’objet du Yoga est de nous libérer des conditionnements qui nous empêchent d’être pleinement dans l’instant. Dès lors que nous devenons totalement présents à nous mêmes et à ce qui nous entoure, les agitations de notre esprit s’apaisent et nous pouvons Voir notre Nature réelle, en plein accord avec le monde.

Au fil des générations et des transmissions de maître à élève, les Yogis ont raffiné dans ce but un grand nombre de techniques orientées sur le corps, le souffle et le mental. Déchirer le voile de nos illusions, se défaire des schémas de pensée automatiques requiert une réelle forme de lutte, intérieure.

Installer un état de paix, d’Union avec l’univers, d’acceptation totale de ce qui est, n’est ni trivial, ni immédiat. L’atteinte des objectifs du Yoga exige pour le pratiquant des efforts intenses, répétés sur une longue période, c’est une forme de combat.

 

 

La pratique d’un Art Martial revêt une multitude de formes selon le style et la la sensibilité du professeur ou du maître, mais il existe des constantes.

En premier lieu, la discipline, formalisée dans beaucoup d’écoles (ou de clubs) par un code de conduite et qui implique l’élève dans une attitude respectueuse et assidue. On peut constater que ces codes de conduites – ou “d’honneur” comme le bushido – sont assez proches des yamas et niyamas des Yoga Sutras de Patanjali.

Ensuite, le développement des qualités physiques du pratiquant : technique des gestes, force, souplesse, rapidité, équilibre et endurance sont travaillés dans le style propre à l’école.  

Là aussi on trouve des points communs, notamment autour de la notion de geste juste : un mélange subtil entre force et relâchement qui amène de la vitesse et de la fluidité dans le mouvement.

Mais aussi la qualité de présence dans l’instant qui permet une anticipation optimale du comportement de l’adversaire : observation, esquive, déplacements, choix de la riposte… Ces qualités sont souvent travaillées en sparring.

Le travail respiratoire est moins systématiquement présent, mais prend une place prépondérante dans certaines disciplines comme par exemple les katas du karaté Shotokan.

Enfin sur le plan mental, au delà de la concentration sur son corps et son souffle, il s’agit pour le combattant de maîtriser les émotions qui peuvent mettre son efficacité en péril : essentiellement la peur et la colère. Là c’est à travers des mises en situation réelles (combats) ou virtuelles (katas) que la pratique se situe. Parfois dans certaines écoles un moment de relaxation et/ou de méditation est aussi placé en fin de cours.

On voit donc que le recouvrement avec l’approche du Yoga est complet : travail sur le corps, la respiration et le mental avec même bon nombre d’exercices très proches.

J’ai déjà évoqué la pratique du Yoga dans ce blog 🙂 mais je souhaite rappeler ici quelques thèmes essentiels qui peuvent résonner chez le pratiquant d’Arts Martiaux.

En Yoga on cherche à ancrer, équilibrer et ouvrir le corps pour le délier, et qu’ainsi il devienne plus efficace. En tenant statiquement, en enchaînant et en répétant des postures inhabituelles dans la vie quotidienne ou sportive, le pratiquant développe un ressenti et un contrôle de plus en fin de ses muscles et du placement de son squelette.

En observant les sensations corporelles et le souffle, on apprend l’importance d’une respiration fluide et consciente et on dénoue ainsi des tensions musculaires : créer de l’espace dans le corps pour mieux s’y relâcher, en respirant. Reconnaître puis se défaire de mauvais schémas posturaux en activant certaines zones éteintes et en en libérant d’autres surutilisées apaise le mental, équilibre le corps et favorise la prévention des blessures.

Le travail du corps en Yoga est plutôt statique, dans l’immobilité d’une posture, mais intègre aussi des enchaînements dynamiques synchronisés avec le souffle. C’est l’occasion pour le pratiquant de piéger un peu différemment les tensions corporelles, de ressentir l’importance du placement de son centre (Hara) et d’observer comment la respiration précède efficacement le mouvement.

La découverte puis la maîtrise des 3 principaux bandhas, zones musculaires situées le long de la colonne vertébrale, vont à leur tour contribuer  à une meilleure appropriation du mouvement efficace.

Dans une pratique de Yoga dynamique, le diaphragme est un des muscles principalement ciblés. En Pranayama, au delà des bandhas, il est même le seul muscle qu’on cherche à travailler.

Le travail respiratoire en Yoga permet notamment

– L’amélioration de la souplesse des tissus de la cage thoracique et de la qualité contractile du diaphragme : augmentation du volume gazeux échangé
– Le ralentissement du rythme respiratoire : meilleur rendement énergétique, augmentation des capacités cardio vasculaires
– Le rééquilibrage du système nerveux autonome en renforçant l’axe para sympathique : meilleure récupération et meilleur contrôle émotionnel

Ramener sans cesse son attention au ressenti du corps, au contrôle de son positionnement dans l’espace, rester présent à la qualité de sa respiration : c’est un travail permanent de concentration et d’apprentissage neurologique. Le Yoga développe la compréhension des micro mouvements musculaires permettant un placement subtil du corps, utile notamment pour les apprentissage techniques et l’appropriation du “geste juste” – Stiram Sukham Asanam.

Ce travail intense de concentration amène le pratiquant expérimenté dans un état de méditation, état qui survient lorsque la concentration ne demande plus d’effort, qu’elle se produit d’elle même. Alors il devient possible de se détacher peu à peu des émotions et de les observer se manifester en nous. De s’étudier sur le tapis pendant la pratique, comme en dehors. Observer nos pensées, identifier nos schémas mentaux, développer peu à peu la conscience du triptyque corps/souffle/mental, et la conscience d’être conscient.

Enfin, généralement placée en fin de séance, la relaxation permet d’expérimenter consciemment un lâcher prise, un abandon de soi – le relâchement du corps précédant une possible détente, une expansion de l’Être. Sur le plan physique, la relaxation est synonyme de récupération de l’organisme, comme le sont également les postures en inversion qui la précèdent souvent.

 

Les pratiquants d’Art Martiaux peuvent mettre à leur profit l’usage de techniques de Yoga afin d’améliorer la qualité de leur entraînement, avec un objectif de valeur directement transposable au combat – en particulier pour combler des aspects du triptyque corps / souffle / mental qui seraient insuffisamment travaillés dans leur discipline.

 

 

Mais je pense que le Yoga peut aussi – et surtout – permettre aux pratiquant d’Arts Martiaux de rendre la finalité de leur discipline plus tangible et d’ainsi contribuer à leur épanouissement global en se pacifiant eux mêmes, en ramenant la spiritualité au centre du combat.

 

 

Les points communs sont nombreux entre la pratique du Yoga et celle des Arts Martiaux, on peut légitimement se demander si elles poursuivent le même but?

Pour ma part la réponse est clairement oui, à savoir le contrôle voire la suppression des instincts de lutte et de domination qui agitent notre espèce depuis toujours, pour d’une certaine manière signer la fin de la suprématie de l’égo en nous mêmes – il est de toutes les façons difficile de projeter l’humanité d’ici la fin du siècle si nous ne sortons pas le nez de nos nombrils, nous aurons vraisemblablement disparu à l’issue du désastre écologique tout proche.

Réaliser que l’autre est comme moi, Voir que l’autre et moi avons exactement tout en commun, c’est ce qui donne du sens à ma pratique de Yoga, à ma vie.

Pratiquer un Art Martial procède exactement de la même logique de reconnaissance de Soi dans l’adversaire, l’alter ego du combat. On Voit que l’adversaire a peur, comme on a peur, qu’il est en colère comme on est en colère, qu’il souffre, comme on souffre.
Inévitablement, avec l’attention vient l’identification à l’autre, ensuite naturellement se développent le respect, puis la compassion.

Dans les deux pratiques il s’agit d’un ressenti profond, d’une compréhension de tout l’Être, pas uniquement d’idées ou de concepts philosophiques posés sur le papier.
C’est bien toute la force qui les sous tend.

Se conquérir soi-même, c’est conquérir l’adversaire’
Takuan Soho, maître Zen du 16e siècle  

A bientôt peut être sur un tatamis, ou un tapis!

🙂

Alexandre

 

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