J’ai mis l’accent dans l’article précédent sur la complémentarité entre le Yoga et le Surf, et comment une pratique régulière des postures de Yoga (Asanas) pouvait nous aider à équilibrer notre corps et surfer mieux, plus longtemps dans notre vie. On peut aussi évoquer les aspects positifs du Surf sur le corps : la rame fait travailler le système cardio vasculaire dans différentes sphères d’intensité en sollicitant intensément les muscles du haut du corps (dos, épaules, bras). Quand les vagues en valent le coup, on se pousse facilement jusqu’à la fatigue voire l’échec musculaire pour en profiter au maximum (noodle arms). Et comme chaque sportif le sait, quand le corps travaille, ça fait du bien à la tête, merci endorphines et dopamine!
Mais les principaux bienfaits du Surf se situent sur un autre plan, plus spirituel. Je suis conscient que la dichotomie Corps / Esprit à la Descartes est plutôt maladroite pour traiter ce sujet, mais bon on ne se refait pas, l’éducation à la Française laisse ses traces…. Dans cet article je vais évoquer la nature profonde des liens entre le Yoga et le Surf, et comment les deux pratiques peuvent se nourrir l’une l’autre.
Le but du Yoga : la réalisation de notre vraie nature, l’union avec l’Absolu (expérience que le Yoga nomme Samadhi), la pleine conscience permanente de notre connexion à tout ce qui nous entoure,…
Le but du Surf : s’amuser à glisser sur des vagues…
Présenté comme ça, c’est assez éloigné 🙂 mais en allant légèrement plus loin, on peut se risquer à dire qu’on surfe parce que ça nous fait du bien, pas vrai? Au corps, ok, mais aussi, et surtout, à la tête, et quand même assez différemment d’un footing…. Car tous les surfers vous le diront (probablement aussi les conjoints de surfers), une session, même pas terrible, améliore grandement l’humeur, “celui qui va surfer a toujours raison”.
Surfer nous calme et nous donne un regard positif sur le monde. Dans le vocabulaire Surf on parle de “Stoke”, cet état mental particulier qui survient après une bonne session, ou même une bonne vague. Classiquement meilleur que le sexe selon certains, cet état peut se caractériser comme une joie durant de quelques heures à plusieurs jours pour des sessions extraordinaires. C’est la recherche de cette sensation qui sous tend la pratique régulière du Surf, et qui la rend si particulière.
Cet état de joie, cette Stoke, est lié à un aperçu momentané du Samadhi pendant le Surf. L’expérience d’un bref moment pendant lequel une union survient entre nous même et quelque chose de plus grand. Une transcendance.
Le Surf, c’est du Yoga.
De fait, beaucoup de parallèles existent entre Surf et spiritualité, ainsi qu’entre Surf et religion. En Polynésie, berceau du Surf, la pratique traditionnelle était rythmée par des sacrements, des prières, des chants et des offrandes aux dieux.
Exemple plus contemporain : les Christian surfers, une organisation évangéliste américaine, s’appuie sur le Surf pour la diffusion de son message, par des surfers, pour des surfers. Ou encore Surfing Rabbi, Nachum Shifren, un prêtre juif orthodoxe qui utilise lui aussi le Surf comme médium pour sa religion. Un point commun : le Surf rapproche de Dieu.
Mais il faut bien reconnaître que le surfer lambda ne se sent souvent pas concerné par la religion, probablement l’héritage libertaire de la contre culture Surf des 60s et 70s.
Reste qu’en filigrane de cette contre culture Surf, le spirituel est omniprésent. Pour Tom Blake, le père du Surf moderne, la Nature, c’est Dieu (Nature=God). Blake, excellent nageur, a découvert le Surf à Hawaii dans les années 20 et a y consacré sa vie entière, inaugurant une manière de vivre au plus près de l’Océan et la Nature (nomadisme, végétarisme, philosophie,…) qui fera le pont entre les racines polynésiennes du Surf et la civilisation occidentale “moderne”.
A sa création dans les années 60, le magazine iconique californien Surfer est inspiré par le mode de vie de Blake. Son fondateur John Severson y associe le psychédélisme de l’époque, notamment en intégrant les illustrations de Rick Griffin entre deux reportages sur des destinations paradisiaques lointaines. Dans les années 70s la culture populaire du Surf est fortement teintée de mysticisme, le “Soul surfing”.
illustration Rick Griffin
Autres exemples : la mythologie de Huey, Dieu du Surf, écrite par un australien dans les années 70; le film hollywoodien Point Break (1991) qui met plus ou moins adroitement en images la connexion mystique entre un surfer (Bodhi aka Patrick Swayze) et l’Océan.
L’eau et la mer sont des symboles sacrés depuis les débuts l’histoire humaine. Avant ça, il y a quelques centaines de millions d’années, nos lointains ancêtres avaient rampé hors de l’océan pour vivre sur la terre ferme. L’eau est la source de la vie sur notre planète. Notre corps en est constitué à 60% (notre cerveau à 80%), nous flottons, et nous possédons dès la naissance le réflexe mammifère d’immersion (décélération instantanée du rythme cardiaque, vasoconstriction). Pour certains, être dans l’eau évoque des réminiscences de paix intra utéro, et c’est une expression qu’utilisent les surfers pour désigner la quête du tube, “back to the womb”, retour vers l’utérus.
Il est assez naturel que le surfer, immergé dans l’Océan, soit touché par cette dimension transcendante, consciemment ou non. De fait, surfer nous place en situation de faiblesse relative, de nécessaire humilité. Plongés dans cet élément que nous connaissons et que nous aimons mais qui n’est plus véritablement le nôtre, nous nous résolvons à une certaine forme d’acceptation, voire dans certains cas, d’abandon.
Je me suis rendu à l’évidence que faire le sachet de thé sur ma planche représente mon contact privilégié avec la Nature. Je m’y sens à ma place, littéralement une goutte dans l’Océan.
Une des règles de vie du Yoga (Niyamas) précise de régulièrement dédier ses actions au Divin, au “plus grand que soi”, quelles que soient ses croyances personnelles. Surfer est un excellent moyen de pratiquer ce Niyama. On ne va pas surfer lorsqu’on en a envie, ou que nos diverses contraintes le permettent, mais quand les conditions sont là et que l’Océan propose.
“Ok c’est bien gentil tout ça, mais moi je surfe parce que c’est FUN!!!”
Celui qui surfe n’a aucun but sinon celui de se faire plaisir. Surfer est par essence non productif. On ne surfe pas pour améliorer ses capacités physiques, se muscler, ou même pour frimer (personne ne vous reconnaît du bord, de toutes façons, en particulier avec du néoprène partout sur le corps). Même si avec l’essor du surf professionnel un vrai tournant a eu lieu vers la performance, la plus grande partie d’entre nous va surfer parce que c’est exaltant, quelque soit le niveau ou le support. “The best surfer is the one having most fun”, le meilleur surfer est celui qui s’amuse le plus.
Ce qui distingue le Surf des autres sports “de glisse” (skate, snowboard,…) et qui le rend si jouissif, c’est que le support est mouvant, jamais identique, et par essence échappe complètement à notre contrôle.
Se déplacer sur une vague en fonction de ce à quoi la vague ressemblera dans le moment suivant nous place immédiatement dans un état mental de Flow, comme l’appelle le psychologue Mihály Csíkszentmihályi. Notre cerveau doit traiter un très grand nombre d’informations simultanément, et pour y consacrer notre capacité de traitement maximale, une partie du cortex préfrontal est inhibée. Nous acquérons alors temporairement une vision d’ensemble de la situation, au delà de la concentration sur le placement de nos pieds, l’analyse de la forme de la lèvre ou la trajectoire du type qui rame sur l’épaule.
L’action de surfer une (bonne) vague nous fait instantanément entrer en méditation : nous opérons dans le présent, totalement, dans l’accueil de ce que la Nature nous propose, sans pensée parasitaire liée au passé, ou à l’avenir. L’inconvénient c’est la brièveté de l’expérience 🙂 et souvent aussi un souvenir très partiel des bonnes vagues surfées. Parfois juste la trace d’une image, ce qui je pense explique la soif inextinguible des surfers pour les photos et les vidéos, afin de revivre les échos de cette expérience.
Cette dissolution de soi, cette expérience plus ou moins profonde d’union avec un tout, n’est bien entendu pas propre au surfer. Beaucoup de sportifs la ressentent et l’ont décrite (The Zone, aka The Flow). Ca concerne souvent des athlètes exceptionnels, Ayrton Senna avait par exemple évoqué une perception du temps ralentie et un contrôle total sur la course lors d’un certain Grand Prix qu’il avait survolé. Le Flow concerne aussi les artistes, et les chercheurs, pendant le processus de création – Einstein disait penser en musique et perdre la notion du temps. Le Flow se trouve aussi dans notre vie quotidienne, lorsque nous sommes intensément concentrés sur une activité qui nous plait vraiment. C’est un peu le cas pour moi maintenant d’ailleurs, je suis dans un état mental particulier car ce thème me fascine depuis longtemps et les mots coulent facilement, en accord avec l’afflux d’idées qui se présentent dans mon esprit.
Schéma issu des travaux sur le Flow du Pr Csíkszentmihályi
D’un point de vue neurologique, le Flow se caractérise par un ralentissement des ondes cérébrales et une prédominance des ondes Alpha. C’est aussi ce qui se produit lors de la pratique du Yoga : postures (Asanas), exercices respiratoires (Pranayama) et méditation (Dharana/Dhyana). Et plus le niveau est avancé, quelle que soit la pratique, plus l’état est stable, profond, et facilement reproductible.
Certains excellents surfers ont très bien décrit ce moment où les pensées sont suspendues et la conscience s’étend au delà de soi même, je pense au Sud Africain Shaun Thomson qui l’a magnifiquement dit ainsi : “I feel like I can bend waves to my will. Time expands in the tube. »
Tout dans l’univers est énergie, c’est ce que dit la mécanique quantique, c’est aussi ce que dit le Yoga. Les vagues de l’océan sont de l’énergie en mouvement, transmise par le vent à l’océan, comme le sont nos pensées, issues de l’activité électrique du cerveau. Ephémères, calmes ou agitées, elles vont et viennent. Le Surf nous apprend à composer avec l’énergie des vagues dans une attitude de disponibilité et de présence. Le Yoga nous apprend à composer avec notre mental, en développant la même attitude vis à vis des pensées et des émotions. Observer, accueillir, laisser partir.
Comme je le disais en introduction, les deux pratiques se nourrissent l’une l’autre sur de nombreux points. Le Surf comme le Yoga sont deux activités qui ont chacune le pouvoir de tout changer dans votre vie (ceux qui savent, savent), alors imaginez lorsque vous pratiquez les deux! 🙂
Le Yoga m’a aidé à percevoir la composante spirituelle du jeu dans les vagues que je pratique depuis l’enfance, à mieux comprendre pourquoi et comment le Surf est si important dans ma vie. Méditer m’a fait réaliser que dans l’eau aussi, je méditais. Et comment, grâce à la mise en pratique de règles éthiques de bon sens qui sont parties intégrantes du Yoga, les Yamas & Niyamas, je peux devenir un meilleur surfer – en m’amusant plus, rappelez vous.
Car le quotidien du surfer moderne c’est aussi le monde à l’eau, les conditions pas terribles, le localisme, la frustration à différents niveaux,…, tout cela peut facilement nous embarquer dans des comportements négatifs et nous faire passer à côté de l’essentiel. C’est le moment de retrouver la simple satisfaction d’être à l’eau (Santosha), la cordialité au lieu de l’agressivité plus ou moins latente (Ahimsa) et un comportement décent au pic (Asteya, Aparigraha) en respectant ses pairs. Ce n’est pas toujours évident, c’est un travail toujours en cours, mais qui change pas mal de choses 🙂
Et réciproquement, la pratique du Surf peut s’avèrer enrichissante pour le Yogi: expériences renouvelées de méditation et aperçus de Samadhi, connexion à la Nature (Ishvara pranidhana), mais aussi discipline et engagement (Tapas), car le Surf nécessite volonté et efforts répétés dès la phase ingrate d’apprentissage.
Alors peut être à bientôt, sur les vagues, ou sur un tapis, ou les deux!
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